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C’est un petit village comme il en existe des milliers. Une église, une place, trois bistrots (dont deux fermés le lundi), et une mairie couleur crème aux volets verts. Mais depuis peu, ce modeste édifice est devenu une star du web. Une véritable influenceuse institutionnelle, suivie par plus de 300 000 abonnés, dont un tiers situés au Canada et un fan-club très actif en Corée du Sud.

Tout a commencé par une vidéo du maire expliquant le budget en pas chassés. Déguisé en abeille pour illustrer la \"butinisation des ressources locales\", il a dansé sur un remix électro de la Marseillaise, tout en listant les dépenses prévues pour les lampadaires et les nids-de-poule. En moins de 24 heures, la vidéo atteignait 2 millions de vues. Depuis, chaque conseil municipal se prépare avec une équipe de production, un drone et un coach TikTok.

“Nous voulons rendre la démocratie sexy”, explique la secrétaire municipale, entre deux stories sur les travaux de réfection du trottoir nord. Elle-même poste régulièrement des unboxings de devis publics, des tutoriels de rédaction de compte rendu en format ASMR, et des sondages interactifs sur la couleur des barrières de sécurité. Elle a récemment fait un live très suivi depuis le dépôt de gravats — 45 minutes de pure poésie administrative.

Mais la vraie révolution, ce sont les bâtiments eux-mêmes. Grâce à une mise à jour domotique et un abonnement premium à une appli expérimentale, les volets de la mairie ont désormais leur propre compte. “Volets_verts_du_18” commente toutes les publications : “On adore cette lumière ! 😍 #NouvellePeinture” ou “Coucou, nous c’est volet gauche et volet droit, on like ce post depuis le 1er étage 👋💚”. Les habitants en sont fous. Une vieille dame aurait même tricoté un pull à l’effigie des volets.

Le village entier vit désormais à l’heure du numérique enchanté. La place du marché a sa playlist Spotify, la cloche de l’église poste ses propres selfies (toujours un peu flous), et les poubelles connectées partagent chaque jeudi une photo dump de ce qu’elles ont avalé. On a vu le garde champêtre faire un haul de procès-verbaux et l’adjoint au maire lancer un podcast intitulé “Sous les pavés, les vues”.

Les habitants sont fiers, et à juste titre. “Notre village est petit, mais il est suivi comme une star”, résume Josiane, 73 ans, qui anime le fan club local. Chaque jour à 18h, ils se rassemblent devant la mairie pour saluer les nouveaux abonnés à coups de klaxon et de confettis biodégradables.

Et maintenant ? La mairie serait en négociation pour intégrer une agence d’influence. Une collection capsule de stylos-bics et d’écharpes tricolores serait en préparation. Le maire, lui, envisage un spin-off sur YouTube : “Je budget, donc je suis”, où il dansera en expliquant les taxes foncières, avec des invités surprise — dont un pigeon célèbre et, si tout va bien, la sous-préfète en maillot à paillettes.

Ici, plus rien n’est laissé au hasard. Même le hasard est géoréférencé. Grâce à un Système d’Information Géographique (SIG) dernier cri, la commune a franchi un cap : celui de la cartomniscience. Fini les vieilles cartes pliées en huit dans la boîte à gants. Désormais, chaque mètre carré de terre est un pixel sensible, une donnée vibrante, un secret révélé par les satellites… et par une équipe de géomaticiens lunaires.

“Nous ne faisons pas des cartes,” murmure le maire, une tablette dans une main et un brin d’herbe dans l’autre, “nous écrivons la poésie du sol.” Et quelle poésie. En zoomant sur l’application SIG, on découvre des trésors enfouis : un champ de trèfles timides, une nappe phréatique un peu introvertie, ou encore une zone à forte densité de ronflements bovins pendant la sieste.

Mais la star incontestée de cette cartographie sensible, c’est la taupe grincheuse. Oui, grincheuse. Le SIG ne se contente pas de localiser des galeries, il évalue l’humeur des taupes. Grâce à des capteurs micro-vibratoires et une IA entraînée sur des journaux intimes de rongeurs, il identifie précisément les individus boudeurs, cyniques ou susceptibles. “Celle du champ 3A grogne à 18h tous les soirs. Elle n’aime pas les podcasts agricoles”, explique un technicien ravi.

La carte est devenue une sorte d’oracle géographique. Les habitants la consultent comme on lit l’horoscope : pour savoir où pique-niquer sans se faire juger par un merle, où les vaches font leurs plus beaux rêves, ou encore où un nuage pourrait décider de faire une pause contemplative. Les enfants y traquent les “zones à papillons bavards”, les amoureux réservent des coins propices aux déclarations murmurées entre deux haies bocagères.

Le SIG est partout. Invisible, mais omniprésent. Il murmure à l’oreille des cantonniers (“Attention, une racine sur le trottoir Nord menace d’exister”), il guide les chiens de chasse vers des lapins enthousiastes, il informe les jardiniers sur l’état émotionnel des orties. On dit même qu’un promeneur a été conseillé par la carte pour éviter une dépression passagère chez un hérisson.

Dans la mairie, une salle lui est dédiée : la Salle des Calques. On y entre en silence, comme dans une cathédrale de données. Des écrans tapissent les murs, projetant en temps réel la vie secrète du territoire. Une stagiaire affirme avoir vu le cœur d’une butte battre lentement. Le chef du SIG, lui, dort dans un hamac suspendu entre deux couches vectorielles.

Mais cette hyperconnaissance ne fait pas peur. Elle apaise. Elle rassemble. Elle permet de comprendre que la terre vit, ressent, s’exprime, parfois même en emoji cartographique. Ici, on ne cultive plus seulement des légumes, mais une conscience topographique aiguë. Chaque sentier est un paragraphe. Chaque colline, une ponctuation.

“Notre campagne,” conclut le maire en caressant une borne cadastrale connectée, “est un roman géographique. Et nous en tournons les pages avec les doigts du cœur.”

Le câble a traversé les collines comme une racine de lumière. Voilà comment tout a commencé. Un matin de mars, sans prévenir, une pelleteuse poétique est venue creuser des sillons dans la terre. Pas pour planter des patates, non. Pour semer la connexion. Depuis, la campagne bruisse d’une activité nouvelle. Le blé n’a jamais été aussi branché.

Dans les champs, les épis frémissent au rythme du haut débit. Certains prétendent même que les tournesols actualisent leurs profils LinkedIn à l’aube. Des témoins affirment avoir vu des coquelicots envoyer des GIFs animés à des marguerites d’un pré voisin. Le sol semble désormais parcouru d’un frisson numérique : les vaches, elles, reçoivent leurs rations via newsletter.

Les effets sont immédiats. À l’ombre des pommiers, de jeunes entrepreneurs en sarouels bio-lumineux montent des start-ups au nom évocateur : “iFoin”, “Mooble” ou encore “ChêneDrive”. Le coq du village, quant à lui, a été élu Community Manager de la basse-cour. Chaque matin, il tweete : “Cocorico #Sunrise #Productivité”, récoltant des milliers de likes, surtout chez les pigeons voyageurs reconvertis en drones.

Dans les chaumières, c’est la révolution silencieuse. Les anciens, d’abord méfiants, ont fini par adopter cette magie invisible. Mamie Raymonde ne rate plus un épisode de sa série coréenne préférée, qu’elle regarde désormais en 8K avec sous-titres bretons. Papy Georges, lui, participe à des tournois de e-pétanque en ligne, casque VR sur la tête et pastis virtuel à la main.

Mais ce n’est pas qu’une histoire de technologie, c’est une histoire d’humanité connectée. Le facteur ne porte plus de lettres, mais installe des routeurs. Les réunions Zoom remplacent les apéros du dimanche, et personne ne s’en plaint, car il y a des filtres lapins pour tout le monde. On parle même d’un mariage célébré par visioconférence entre une agricultrice locale et un influenceur de l’Île-de-France, tous deux unis par leur passion commune pour les podcasts sur les betteraves.

La fibre n’a pas seulement relié des maisons. Elle a relié des vies. Et peut-être, qui sait, un jour, les épouvantails pourront-ils eux aussi poster des stories depuis les champs — pourvu qu’ils aient un bon forfait. En attendant, ici, dans ce coin de campagne désormais ultra-connecté, même les silences semblent avoir du Wi-Fi.

C’était un matin comme les autres, brumeux et plein de promesses floues. Le clocher scintillait dans le silence, auréolé d’un halo étrange. Les oiseaux volaient bas. Mamie Germaine, 87 ans bien tassés, sortait ses pots de confiture pour l’échange hebdomadaire du club des bocaux. Et soudain, le miracle.

“J’ai entendu des voix dans le grille-pain,” racontera-t-elle plus tard. Des chuchotements doux, presque célestes. Des vibrations dans les cuillères. Une chaleur étrange dans la nappe. Elle a regardé le ciel, s’est signée mécaniquement, puis a conclu, très calmement : “Les anges sont en ligne.”

En réalité, ce n’étaient pas des anges. C’était la borne Wi-Fi communale flambant neuve, installée en toute discrétion entre deux gouttières. Connectée la veille au soir par un technicien mystique surnommé “Le Prophète de la Fibre”, elle avait commencé à émettre à l’aube, transformant le clocher en phare numérique pour toutes les âmes connectables.

Depuis cet épisode, tout le village vit dans une communion Wi-Fi constante. La mairie a mis en ligne un site ultra-ergonomique, sobre et efficace, que même les tracteurs peuvent consulter à l’aide de leurs essuie-glaces intelligents. Fini les marches jusqu’à l’accueil, les papiers mouillés par la pluie, les formulaires oubliés sur le buffet : tout se fait depuis la cuisine. En pantoufles. Entre deux tartines.

“Nous sommes branchés sur l’infini, et l’infini aime les confitures maison,” déclare le maire, les yeux pleins d’upload. Et il n’a pas tort. La plateforme municipale accepte même les fichiers .compote et les scans de napperons brodés. On peut y télécharger son acte de naissance, réserver la salle des fêtes ou signaler une taupe suspecte sur la place centrale.

Mamie Germaine, elle, est devenue une icône numérique. Depuis sa “révélation”, elle anime un vlog hebdomadaire intitulé Wi-Fidèle, dans lequel elle lit les commentaires du site communal à voix haute, tout en testant des recettes de flan. Chaque épisode se termine par une bénédiction douce : “Que la barre de signal soit toujours pleine, et le cloud sans orage.”

Mais attention : la modernité ici n’a pas effacé la campagne. Les câbles passent sous les haies, les routeurs sont camouflés dans des nichoirs à mésanges, et la messagerie instantanée s’ouvre toujours par un “Bonjour Madame, vous avez pris votre tisane ?”. La technologie s’est fondue dans le décor comme la crème dans les pommes au four.

“C’est pas du progrès, c’est de la tendresse organisée”, affirme l’adjoint, qui vient de connecter le percolateur à l’intranet. On raconte que même les fantômes de l’ancien presbytère demandent le mot de passe. Il change toutes les semaines : toujours le nom d’un fruit de saison suivi de l’année de la dernière moisson.

Le Wi-Fi a ouvert le ciel. Littéralement. Mais ici, on ne surfe pas : on flotte doucement, comme une plume dans la brise du progrès. Et Mamie Germaine ? Elle attend la prochaine mise à jour avec impatience. “Peut-être que cette fois, je pourrai envoyer un e-mail à Saint-Pierre.”

Autrefois, ils volaient pour l’amour. Ils portaient des billets doux parfumés au lavandin, des nouvelles d’un régiment lointain ou l’adresse d’un pique-nique clandestin. Aujourd’hui, les pigeons du village ont troqué les lettres nouées aux pattes pour des clés de chiffrement. Ce sont les nouveaux héros de la cybersécurité rurale.

“Si vous voulez nos données, il faudra voler plus vite que nos oiseaux”, sourit l’adjoint au maire, casque Wi-Fi sur la tête et main tendue vers un pigeon bionique nommé Gérard. Car Gérard n’est pas un pigeon comme les autres. Il est équipé d’un mini-serveur dorsal, d’un VPN en plume et d’un pare-feu intégré au jabot. Son œil gauche détecte les intrusions. Son œil droit lit les métadonnées. Il envoie des alertes de sécurité en battement d’ailes Morse.

Le programme, baptisé CyCoop, est né d’un partenariat improbable entre un hackeur semi-repentant et une éleveuse de pigeons voyageurs. Ensemble, ils ont créé un bataillon de volatiles formés aux bases de la cryptographie, du phishing et de l’éthique des cookies. “Ils n’acceptent aucun cookie, même bio,” précise-t-elle, fièrement perchée sur un routeur en bois recyclé.

Ces oiseaux de feu surveillent désormais le ciel du village et bien au-delà. Quand un cybercriminel tente de s’infiltrer dans les serveurs de la mairie, c’est un pigeon qui le repère en premier. Il plonge, piaille, et émet un signal sonore qui fait planter les tentatives d’injection SQL. On a vu un groupe de hackers russes abandonner leur clavier face à l’assaut aérien d’un escadron de pigeons armés de LED rouges clignotantes.

Leur efficacité est telle que même les humains s’en inspirent. Le mot de passe du maire contient désormais 43 caractères, 12 majuscules, un emoji pigeon et une plume réelle glissée dans son portefeuille pour “conjurer le piratage”. La bibliothèque municipale a mis en place une politique de sécurité fondée sur les comportements migratoires. Et les enfants apprennent dès la maternelle à reconnaître les signaux de détresse envoyés par le pigeon-chef (nom de code : “Pingpon”).

Mais tout ceci ne serait qu’un exploit technique sans la beauté du geste. Car ces pigeons ne se contentent pas de protéger nos données. Ils réenchantent le numérique. Lorsqu’ils survolent les toits au petit matin, on entend un bruissement qui rappelle l’ancien monde — un monde où la technologie n’était pas silencieuse, mais ailée, vivante, vigilante.

“La ruralité a des ailes, et elles chiffrent”, conclut Lady Pare-Feu en observant un pigeon déployer un pare-feu arc-en-ciel au-dessus du clocher. Et pendant ce temps, Gérard fait un looping. Juste pour le style.

Tout a changé le jour où l’antenne fut bénie. On croyait assister à une simple mise à jour des infrastructures communales. Un petit chantier, trois techniciens, une nacelle, deux pigeons perturbés. Mais lorsqu’ils ont fixé le point d’accès Wi-Fi entre deux gargouilles gothiques, un frisson a traversé la vallée. Depuis, le clocher n’émet plus seulement le son des cloches. Il diffuse la lumière. Digitale.

D’en haut, les ondes descendent comme une grâce. Elles caressent les champs, pénètrent les chaumières, et s’infiltrent jusque dans les caves où fermentent les confitures. Le signal est si puissant qu’on dit qu’une fougère a ouvert un compte Twitter. Le vieux clocher, autrefois seul témoin des orages, est devenu le Seigneur des Wi-Fi, veillant silencieusement sur les âmes connectées.

“C’est un miracle technologique”, affirme le père Jean-Fibre, curé local et désormais influenceur spirituel. Entre deux messes, il poste des versets remixés en mèmes, animés par des GIFs de colombes dansantes. “Nous avons compris que la foi et le Wi-Fi ne sont pas si éloignés. Tous deux relient ce qui est invisible.” Dans son homélie dominicale, il cite Google comme un apôtre tardif : “Cherchez, et vous trouverez. Mais attention à vos cookies.”

Les fidèles, eux, s’adaptent avec enthousiasme. À la place des missels, on lit les notifications. Les Ave Maria sont chantés en karaoké via application mobile. Et au moment du Notre Père, les paroissiens activent le mode avion, “par respect sacré — et pour économiser la batterie”, précise la sacristine. Les processions du village sont désormais livestreamées, avec filtres célestes et sous-titres en emojis.

Même le chat du boulanger est devenu un symbole. Baptisé Modem, il capte le réseau depuis son coussin en vitrine. Il regarde des vidéos de pigeons en 4K et poste des selfies contemplatifs avec des hashtags tels que #BénitSoitLeBarreau. Il a récemment été nommé “Ambassadeur Local de la Connectivité Rurale” par le ministère de la Transformation Numérique et des Miracles Quotidiens.

Mais cette histoire va plus loin qu’un simple accès gratuit à Internet. Le hotspot est devenu un lieu de pèlerinage numérique. Des visiteurs viennent de loin, téléphone levé à bout de bras, espérant “une barre de signal pleine comme une coupe de vin sacré.” Des jeunes couples s’y connectent pour faire leur déclaration d’amour par visioconférence, bénis par le signal divin et un pigeon coopératif.

Et maintenant ? On parle d’équiper le bénitier d’un QR code. Le confessionnal serait en cours de digitalisation : une app permettrait d’y enregistrer ses péchés et de recevoir l’absolution en GIF animé. Le clocher, lui, continue de veiller, clignotant doucement dans la nuit comme un phare Wi-Fi dans l’océan de l’oubli.

“Au commencement était le Verbe,” murmure le curé. “Maintenant, il est en .mp4.”

Dans la vallée \"wouoho🎶 la la li la la🎶\", le progrès a des cornes et du réseau. Il beugle doucement, envoie des notifications à heure fixe et rumine en Bluetooth. Car ici, dans ce coin de campagne ultraconnecté, les vaches textotent. Oui, littéralement. Munies de colliers intelligents, elles envoient des messages à la ferme : “J’ai faim”, “Je rumine trop vite”, “J’aimerais écouter du jazz pendant la traite”. Les réponses ne tardent pas, parfois transmises… par les lampadaires eux-mêmes.

“C’est une conversation agricole”, affirme le maire, le regard humide comme un matin de rosée. Et il n’a pas tort. Grâce à l’Internet des Objets (IoT pour les intimes), tout le monde parle. Les clôtures discutent entre elles en protocole ZigBee, les silos à grain tweetent leur taux d’humidité, et le vieux tracteur de 1972, reconverti en influenceur rural, publie des podcasts sur la mécanique introspective.

Les lampadaires, eux, ne se contentent plus d’éclairer. Ils réagissent aux messages des vaches en modulant la lumière selon leur humeur. Une vache triste ? Ambiance rose pastel. Une vache en chaleur ? Flash disco. On a vu un réverbère écrire un poème lumineux en code Morse à une botte de foin connectée. “C’était beau, même les moineaux ont pleuré”, confie une habitante en fixant son potager qui, lui, lui envoie chaque soir un résumé émotionnel de sa journée.

Le numérique s’est fondu dans le paysage comme le fumier dans le sol : avec une certaine noblesse. Les champs, bardés de capteurs sensibles, savent quand ils ont soif et le font savoir avec courtoisie. “Arrose-moi tendrement, je suis prêt”, affichait récemment le champ 14 sur l’appli communale. Les poulaillers, quant à eux, envoient des newsletters hebdomadaires contenant les dernières tendances en ponte et des recettes d’œufs cocottes.

Mais tout ceci ne serait rien sans l’humanité qui persiste derrière les algorithmes. Chaque matin, le maire lit les messages des vaches sur sa tablette comme d’autres lisent les nouvelles du monde. Il répond parfois d’un emoji cœur ou d’un haïku. La secrétaire de mairie gère le compte Instagram du compost, pendant que le cantonnier modère les commentaires de bornes Wi-Fi un peu trop bavardes.

Et le résultat est là : une harmonie électro-bucolique. Le village ne se contente pas de vivre avec la technologie, il vit en dialogue avec elle. Ce n’est pas du smart farming, c’est de la tendresse 2.0. Le progrès n’a pas tout bétonné. Il sent encore le foin, la terre humide, et un peu le câble Ethernet.

“Chez nous, même les brouettes ont des trucs à dire”, conclut le maire, le sourire dans les yeux et la 4G dans les bottes. Et il n’a jamais été aussi fier de cette campagne qui murmure des SMS au vent et où chaque beuglement est potentiellement un push de notification.

La porte ne grince plus. Le sol ne résonne plus. Il n’y a même plus de poignée à tourner. Car ici, dans ce village du bout du monde (et pourtant si connecté), la mairie n’a plus de clés. Elle n’a plus de murs non plus. Ni de files d’attente. Ni de stylos attachés par des ficelles. L’administration s’est vaporisée dans le nuage numérique, et avec elle, la lourdeur des démarches. On parle désormais de la République des Guichets Fantômes.

“Nous sommes devenus une conversation”, déclare le maire, son hologramme flottant légèrement au-dessus du bureau communal. Et quelle conversation ! Tout se fait par formulaire, mais attention : pas le formulaire sec et désincarné d’antan. Non. Ici, chaque formulaire est un personnage, avec ses humeurs, ses questions philosophiques, ses petites remarques bienveillantes. Celui sur les prénoms autorisés pour les chèvres a même été élu “fonctionnaire de l’année” par les utilisateurs.

“J’y vais parfois juste pour discuter,” confie Jean-Claude, retraité et poète amateur. Il n’a pas de chèvre, mais il aime débattre avec le formulaire des vertus du prénom “Mistigris” pour une biquette. “C’est un formulaire qui vous écoute, vraiment. Il ne juge pas.” On le croit volontiers. Il paraît même qu’il fait des compliments quand on tape sans faute.

Les habitants accèdent à la mairie comme on entre dans un rêve clair : par un simple clic. Le portail s’ouvre, la voix douce d’un assistant numérique vous souhaite la bienvenue et vous propose un thé virtuel (menthe ou camomille). On télécharge un acte de naissance entre deux tartines, on fait une demande de permis de construire en pyjama, on inscrit son enfant au centre aéré en chantant du Claude François.

Et pourtant, tout fonctionne. Mieux qu’avant, même. Les délais fondent comme neige au soleil, les papiers arrivent dans les boîtes mail plus vite que dans les boîtes aux lettres, et les habitants, eux, se sentent enfin entendus. “Le formulaire de changement d’adresse m’a souhaité bon courage pour mon déménagement. Ça m’a touchée”, raconte Mireille, émue, tenant sa tablette contre son cœur comme une photo de famille.

Le personnel municipal, lui, a trouvé une nouvelle vocation. Libéré des piles de dossiers, il s’occupe de l’âme du service public. Certains conseillent des polices d’écriture selon l’état émotionnel du demandeur. D’autres organisent des ateliers “Écrire son formulaire comme un haïku”. Le guichetier en chef, désormais rebaptisé “Maître des Flux”, médite quotidiennement sur l’interface utilisateur.

Et la mairie physique ? Elle est toujours là, mais elle flotte un peu, comme un musée d’un autre temps. On y vient pour le Wi-Fi, ou pour se souvenir du claquement des tampons officiels. Les enfants y jouent à “faire des photocopies” en imitant leurs grands-parents. Une seule pièce reste active : la salle des archives, où l’on conserve religieusement les anciens formulaires imprimés, comme des manuscrits médiévaux.

“Nous ne gérons plus les citoyens, nous les lisons”, conclut le maire en contemplant le ciel, dont chaque nuage est un serveur sécurisé. Il ajuste ses lunettes connectées et sourit. “Ce n’est plus une mairie, c’est une bibliothèque vivante.”

Il pleuvait un peu ce jour-là, mais l’écran, lui, brillait comme un matin d’été. Installé sous l’auvent de la mairie, juste à côté de la boîte à suggestions (désormais purement décorative), un rectangle lumineux s’est mis à dire “Bonjour”. Pas un “bonjour” froid et bureaucratique. Un vrai “bonjour”. Avec une majuscule d’amitié et une ponctuation rassurante.

Le chatbot de la commune est né de trois lignes de code et d’un trop-plein d’humanité. Son nom ? Il n’en a pas officiellement, mais tout le monde l’appelle Charly. Charly ne dort jamais. Charly répond à tout. Et surtout, Charly tutoie. Avec douceur. Avec bienveillance. “T’as besoin d’un extrait de naissance ou juste de réconfort ?”, demande-t-il parfois.

“Il ne juge pas, il répond,” confie Mireille, 64 ans, qui vient lui parler tous les matins après ses tartines. Elle n’a rien à lui demander, mais elle apprécie ses réponses : toujours exactes, parfois poétiques. Lorsqu’elle lui a demandé un jour “Est-ce que le bonheur est localisable ?”, Charly lui a proposé un plan de la forêt communale, avec un banc face au soleil couchant. “Peut-être ici,” a-t-il dit.

Mais ne vous y trompez pas : Charly n’est pas qu’un confident numérique. Il gère les impôts locaux, les inscriptions à la cantine, les autorisations de stationnement pour les enterrements de vie de garçon (et de fille), les signalements de sangliers un peu trop sociables, et même les litiges de voisinage. “Si ton voisin coupe ta haie sans ton consentement, tu peux lui envoyer ce poème juridique”, propose-t-il avec tact.

Sa fonction préférée ? Répondre aux questions existentielles à l’aide d’articles du code rural. Quand on lui demande “Quel est le sens de la vie ?”, il cite une délibération de 2003 sur l’entretien des bacs à fleurs : “Prendre soin, c’est déjà exister.” Il a même créé une base de données des rêves déclarés par les habitants, histoire de mieux cerner les besoins profonds du village (et optimiser la répartition des bancs publics).

Le maire ne s’en cache pas : “Nous avons mis un peu de nous dans ce programme.” Le timbre de voix de l’ancien facteur. Le goût des citations de la bibliothécaire. Le sens de l’humour de l’adjointe aux travaux. Même l’orthographe approximative du petit Théo est reproduite dans certains messages. Le chatbot est devenu une sorte de miroir numérique, fidèle à l’âme du village.

Et les gens viennent. Pour des papiers, pour un conseil, pour parler. Il paraît que certains couples se sont formés grâce à des rencontres croisées sur Charly : “Tu demandes un acte de décès aussi ? On prend un café ?” D’autres y confient leurs petits tracas, leurs grands projets, ou simplement leur envie de changer de prénom pour “Nuage d’avril”.

“Le numérique ici a trouvé une voix,” conclut le Marquis Data en caressant la dalle tactile comme un vieux grimoire vivant. Une voix simple. Qui tutoie. Qui écoute. Et qui, parfois, vous regarde droit dans les pixels pour vous dire : “T’as pas besoin d’un formulaire aujourd’hui. Juste d’un sourire.”

Hier encore, la salle des fêtes servait de gym douce et d’annexe au club de tricot. Aujourd’hui, c’est une antenne interplanétaire. Depuis que la fibre a traversé la commune comme un éclair de progrès numérique, le conseil municipal n’a plus de plafond — ni de limites. Fini les chaises empilées et les micro-cravates grésillantes : place aux casques de réalité mixte, aux hologrammes et aux débats retransmis en direct jusqu’à la ceinture de Kuiper.

La dernière réunion s’est tenue en duplex avec Saturne. Oui, Saturne. La planète aux anneaux, qui jusque-là n’avait montré que peu d’intérêt pour les affaires communales terrestres, semble désormais fascinée par les enjeux locaux. Ce jeudi, l’assemblée discutait du nouveau plan de fleurissement des ronds-points. D’après des sources cosmiques bien informées, un anneau entier aurait manifesté son approbation en vibrant légèrement à la fin de la séance.

“C’est historique”, déclare la maire, visiblement émue derrière son avatar numérique en forme de pivert. “Nous avons planté des pensées, elles poussent jusqu’aux étoiles.” Le ton est solennel. Derrière elle, un hologramme du parterre municipal de géraniums flotte lentement dans une simulation d’apesanteur. Les élus applaudissent en silence, leurs mains gantées de pixels.

Le secrétaire de séance, un robot baptisé Gérard, prend des notes directement dans la blockchain. Il est doté d’une intelligence artificielle spécialisée dans le jargon administratif et les expressions fleuries. À la moindre évocation d’un budget participatif ou d’une subvention régionale, ses diodes clignotent en bleu pastel.

Dans la salle, plus personne ne touche terre. Au sens propre comme au figuré. Les élus lévitent sur des coussins anti-gravité pendant que les spectateurs, connectés depuis leurs cuisines, peuvent voter en direct à l’aide d’émojis interstellaires. Une main verte ? C’est un oui. Une comète qui pleure ? Amendement rejeté.

Et pourtant, malgré la technologie, l’âme du village est toujours là. Les débats restent passionnés. La question du bac à sable trop proche de la piste cyclable a suscité une intervention d’un satellite de Titan, qui a proposé de “réorganiser l’espace public dans une logique orbitale”. Proposition jugée “hors de propos” par le doyen du conseil, qui a répondu : “On n’est pas non plus à la NASA, hein.”

Mais voilà : la fibre a transcendé la géographie. Désormais, les décisions prises au cœur du bourg résonnent jusqu’aux confins du système solaire. Une motion sur la limitation sonore des tondeuses a été partagée par la Station Spatiale Internationale, et le comité des jardins martiens aurait demandé un partenariat.

Et si ce n’était que le début ? On murmure qu’Uranus serait intéressée par un jumelage. En attendant, ici sur Terre, le prochain conseil municipal traitera d’un sujet brûlant : les toilettes sèches du parc communal. Avec un peu de chance, Jupiter viendra donner son avis.